Mode et développement durable
A priori, la mode et le développement durable ne font pas bon ménage.
Saviez-vous par exemple que les grandes marques proposent actuellement jusqu’à 6 voire 8 collections saisonnières par année? Mais au fait, il y a combien de saisons par année?
Ou encore, saviez-vous que la valeur marchande de tous les vêtements (encore portables) jetés par les anglais chaque année est de 14,1 milliards d’euros? La majorité termine à la décharge. Pour donner un ordre de grandeur, le chiffre d’affaires annuel de Primark est de plus de 8 milliards d’euros.
« Ce qui se cache derrière ces chiffres ahurissants, c’est l’histoire de la Fast Fashion moderne, qui a su créer une culture où les articles de mode s’accumulent sans être vraiment valorisés par leurs acheteurs qui, dans certains cas, ne les portent même pas et sont habitués à s’en débarrasser très rapidement. » (Fashion Network, mars 2018)
Psst: Pour découvrir les principes de la Slow Fashion, c’est par ici.
Comment réconcilier la mode avec le développement durable?
Dans son rapport 2018, le Global Fashion Agenda propose des pistes d’actions pour amener la filière de la mode à être plus durable.
Il dégage 7 priorités, en deux étapes:
- Pour une action immédiate, il recommande de définir clairement la chaîne de fabrication et de production, de mieux gérer l’eau, l’énergie et les produits chimiques, et de créer des environnements de travail sûrs et respectueux des êtres humains.
- Pour un changement plus fondamental, il suggère de rechercher des matériaux durables, de fermer la boucle, de promouvoir de meilleurs systèmes de rémunérations et de se préparer à la 4ème révolution industrielle.
1. Pour une action immédiate
1.1. Définir la chaîne de fabrication et de production
La complexité et la fragmentation de la chaîne des fournisseurs rend difficile pour l’industrie de la mode de traquer où et comment les produits sont faits. Il en résulte très souvent un manque de traçabilité, une opacité de tout le processus de fabrication et au final une incertitude concernant les matières premières utilisées.
Comment une marque peut-elle éclaircir son impact éthique, social et environnemental? En établissant une carte détaillée de ses fournisseurs primaires et secondaire, puis en demandant à chacun d’en faire autant. Cette carte globale permettrait d’augmenter la transparence, de favoriser la collaboration. Cela stimulerait étalement toutes les parties prenantes à s’engager pour un développement durable.
Concrètement, cela permettrait à une marque d’identifier les risques tout au long de la chaîne de fabrication. Ce qui est la première étape pour pouvoir introduire des pratiques plus durables. Cette démarche est aussi dans l’intérêt des entreprises car rendre la chaîne de fabrication plus efficace signifie aussi gagner plus d’argent.
1.2. Mieux gérer l’eau, l’énergie et les produits chimiques
L’industrie de la mode contribue pour 2% à la facture carbone globale. Durant les prochaines décennies, cette proportion va plus que décupler. Il est donc urgent d’agir.
En moyenne, le processus de fabrication des textiles pourrait utiliser 11% de moins d’eau et 7% de moins d’énergie, avec un retour sur investissement dans les 14 mois. (Natural Resources Defense Council -2015- NRDC’s Green Supply Chanin Inititive to Clean Up te Fashion Industry)
Au niveau chimique, les gros points noirs sont le tannage des peaux et le délavage des denims. Il faut d’urgence en réduire et en sécuriser l’utilisation, ainsi que les rejets. Cela permettrait d’améliorer significativement la santé des travailleurs et de réduire les dommages causés à l’environnement. Le gain total pour l’économie mondiale serait alors de l’ordre de 9 milliards d’euros. (Global Fashion Agenda &The Boston Consulting Group -2017- Pulse of the Fashion Industry 2017 Report)
1.3. Des environnements de travail plus sûrs et plus respectueux
Les 60 millions de personnes utilisées tout au long de la chaîne de fabrication sont exposés à toutes sortes de conditions de travail dangereuses et/ou discriminatoires, ce qui est contraire aux valeurs éthiques.
Mais par ailleurs, respecter les droits humains universels n’est pas seulement un impératif éthique, c’est aussi bon pour le business. En effet, des environnements de travail sécurisés et respectueux peuvent apporter de nombreux bénéfices économiques: plus de productivité, moins de jours de maladie, moins d’erreurs -et donc de pièces à éliminer de la vente- et moins de turnover (donc une capitalisation possible sur l’expérience des travailleurs).
Par exemple, le Global Fashion Agenda & Boston Consulting Group a estimé dans son rapport de 2017 que réduire le niveau moyen des blessures dans l’industrie pourrait apporter 12 milliards à l’économie mondiale.
Comment une compagnie peut-elle améliorer ce point? Par exemple en implémentant des polices et des processus concernant la sécurité des travailleurs. Elle peut lutter contre les discriminations ou le travail forcé. Ou encore, elle peut interdire le travail des enfants. Et ce à toutes les étapes de la production. Et surtout en contrôlant réellement leur application.
2. Pour des changements en profondeur
2.1. Rechercher des matériaux durables
Changer pour des matériaux moins polluants pourrait réduire significativement l’empreinte environnementale des fabriquants de vêtements. Selon le Global Fashion Agenda & Boston Consulting Group par exemple, remplacer le coton actuellement utilisé par du coton bio pourrait diminuer cette empreinte d’un quart. Et cela profiterait aussi au porte-monnaie des entreprises: 30% de coton conventionnel remplacé signifierait 18 milliards d’euros d’économies.
Par ailleurs, d’autres fibres végétales ont une empreinte moindre, comme par exemple le lin qui est produit en Europe (donc pas de coût lié au transport) et qui est beaucoup moins gourmand en eau. Il serait donc aussi temps de varier les matières premières naturelles pour soulager la filière du coton.
Les matériaux d’origine animale comme la laine, le cuir ou la soie sont durables. Mais il faut contrôler les conditions d’élevage, d’exploitation et d’abattage pour que l’animal soit bien traité et respecté.
Du coup, les fibres synthétiques seraient-elles la panacée? Le problème, c’est que la plupart sont reliées d’une manière ou d’une autre au pétrole et que leur fabrication nécessite l’utilisation de produits chimiques. De plus, chaque fois que ces fibres sont lavées, des micro-particules de plastiques polluent nos océans comme le démontre la vidéo ci-dessous:
En conclusion, il est prouvé que le choix des matériaux bruts utilisés détermine jusqu’à la moitié de l’empreinte environnementale d’une marque de vêtements. Améliorer les matériaux existants et en développer de nouveaux avec une empreinte moindre s’impose donc pour entrer dans une dynamique de développement durable.
2.2. Boucler la boucle de la mode
Actuellement, la mode est considérée comme un système ouvert: « prendre, faire, disposer ». Avec pour résultat que 73% des vêtements fabriqués dans le monde terminent dans des décharges. (Ellen MacArthur Foundation -2016- The New Plastics Economy: Rethinking the Future fo Plastics) A l’opposé, seuls 15% des vêtements sont collectés pour être recyclés et moins de 1% des matériaux utilisés pour les produire sont recyclés dans de nouveaux vêtements.
« Chaque seconde, un plein camion à ordures de textiles est jeté aux ordures. »
(Ellen MacArthur Foundation)
La plupart des nouveaux produits sont conçus sans aucune préoccupation de durabilité ou de recyclage. Boucler la boucle pour s’engager dans la voie du développement durable, ce serait prévoir dès leur conception des vêtements qui seraient faits pour durer et que l’on pourrait ensuite désassembler et recycler. Cela passerait bien entendu aussi par une augmentation de la part de fibres recyclés dans les nouveaux produits, et par l’augmentation de la part de vêtements usagés dans les collections.
Par ailleurs, cette évolution serait également dans l’intérêt des marques. Si l’industrie trouvait un moyen de collecter et de recycler toutes les fibres, la somme ainsi économisée serait de l’ordre de 80 milliards d’euros. Sans compter que les entreprises seraient ainsi moins vulnérables par rapport aux fluctuations des prix des matières premières brutes. (Ellen MacArthur Foundation)
2.3. Promouvoir de meilleurs systèmes de rémunérations
Globalement, l’industrie de la mode est un facteur de prospérité économique et un des plus importants créateurs d’emplois. Mais il n’y a pas de vue d’ensemble des rémunérations, chaque étape de la chaîne de production cherchant à gagner toujours plus de profits au détriment des travailleurs.
Promouvoir des systèmes de rémunérations qui assureraient les besoins des travailleurs tout au long de la chaîne de production, c’est surtout:
- s’assurer de leur prospérité, de celle de leur famille, et par delà, de celle de toute la communauté.
- réduire le désinvestissement des employés.
- augmenter la qualité de ce qui est fabriqué.
- améliorer la fiabilité des livraisons.
- favoriser les innovations.
Il n’est pas besoin d’avoir beaucoup d’études d’économie pour comprendre que toutes ces améliorations ne pourraient que rapporter aux entreprises elles-mêmes. Mais cela passera probablement par un changement de paradigme où le fair-play et le souci de l’être humain deviendrait la règle.
2.4. La 4ème révolution économique est pour demain
L’automatisation et les nouvelles méthodes technologiques de production sont déjà en train de se mettre en place. Dans une perspective de création de valeur, la numérisation est incontournable. Toutefois, l’ampleur de la transformation est actuellement inconnue et difficile à prévoir.
D’un côté. la numérisation des chaînes de production peut apporter des bénéfices sociaux, environnementaux et économiques. La technologie peut se décharger les travailleurs des tâches répétitives ou dangereuses comme teindre ou couper les tissus par exemple. Ce qui leur permet de se concentrer sur des tâches plus créatives et plus gratifiantes. De plus, la technologie est plus productive et plus fiable, d’où un gain en énergie et moins de gaspillage. Elle permet aussi de suivre au plus près les fluctuations du marché grâce à la rapidité de production. En réduisant les variabilité et les erreurs, elle permet enfin des économies d’échelles.
Mais d’un autre côté, la numérisation est dévoreuse d’emplois. Dans certains pays, jusqu’à 90% des travailleurs du textile vont perdre leur emploi. La problématique sociale qui se dessine derrière cette réalité devra être gérée pour éviter une paupérisation rapide de la population. Cela demandera un effort conjoint de toute l’industrie et des politiques publiques pour se préparer aux répercussions de ce changement.
A nous de faire bouger les choses!
Les consommateurs ont un grand rôle à jouer dans toute cette chaîne. Nous sommes de facto dans une économie de marché. Ce qui signifie: « Pas de demande, pas d’offre ». En tant que consommateur final, nous tenons les codons de la bourse: pourquoi continuer à acheter sans discernement?
A nous donc de poser les bonnes questions!
- Qui fait mes vêtements? Ce qui sous-entend, dans quelles conditions sociales, éthiques et humaines sont-ils faits?
- Comment sont faits mes vêtements? Sont-ils conçus dans une perspective de développement durable (matières premières, ressources, pollution, recyclage, etc.)
- Quelle utilisation je vais faire de mes vêtements? Est-ce que je veux continuer à contribuer au grand gaspillage actuel? Est-ce que ce ne serait pas plus judicieux de prendre du recul pour investir à bon escient?
A nous donc d’apporter les bonnes réponses!
Acheter moins, mais privilégier la:
- traçabilité, gage de respect de l’environnement et des travailleurs.
- proximité pour une empreinte carbone moins importante.
- adéquation avec nos besoins et notre style pour éviter le gaspillage.
- qualité qui découle d’un savoir-faire maîtrisé pour une plus grande durabilité.
- justice en acceptant de rémunérer un travail de qualité à son juste prix.
La place des artisans-créateurs
Dans cette optique, les artisans-créateurs/trices ont une carte maîtresse à jouer pour peu que l’on cesse d’être aveuglé(e)s par les spots des grandes marques.
J’ai par exemple eu l’occasion de regarder de près des pièces tricotées vendues par de grandes marques à plus centaines d’euros. Finitions bâclées, détails absurdes, conception en dépit du bon sens, coutures qui lâchent en magasin, et j’en passe. Et, je ne parle même pas des habits immettables parce que montés à l’envers par exemple. Mais, surprise, il y a toujours des clientes: pourquoi?? Un logo connu justifie-t-il tout? Sommes-nous à ce point devenus des moutons de Panurges ?
Enfin, pour découvrir en quoi soutenir les artisan-créateurs/trices est une excellente solution pour contribuer à une mode plus belle, juste, adéquate et équitable, je vous invite à télécharger mon e-book « Les 8 bonnes raisons pour acheter chez un/e artisan/e-créateur/trice« .
PS: Soutenir les artisans-créateurs, ce n’est pas seulement acheter. C’est aussi suivre activement mon travail sur les réseaux sociaux: Facebook, Instagram ou encore accepter de recevoir les notifications de ce site quand un nouvel article est publié. Merci pour votre soutien!
Liens intéressants à consulter:
- Le Copenhagen Fashion Summit
- Le Global Fashion Agenda: les 7 actions proritaires pour une mode durable